Rock Critic #2 : Flavie

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C’est assez rare je crois d’aimer de grands films dès l’enfance. Je n’ai jamais vu de pré-ados regarder les films de Pialat, de Joon Ho, de Gray ni de Kurosawa. On se demande pourquoi. Bref, moi petite, étant une enfant des années 80, j’ai surfé à 250% sur la vague américaine des Cruise et Di Caprio sans parler des Nirvana et Red Hot Chili Peppers, ou bien encore de Friends et Beverly Hills. Donc par la force des choses, j’ai vu Légendes d’automne de Edward Zwick. Sorti en 1995 en France, j’avais douze ans, je n’ai pas vu ce film au cinéma et je l’ai donc visionné à sa sortie en VHS quelques mois plus tard. Je me souviendrai de ce jour toute ma vie. Pourtant, beaucoup de mes proches peuvent témoigner de mon étonnant manque de mémoire, vous allez donc devoir me croire sur parole. Pourquoi Légendes d’automne ? Tout simplement parce que y figure dans l’un des rôles principaux l’icône affriolante masculine de ma génération : Brad Pitt. Je le rappelle : je n’ai que douze ans. Le topo en très résumé est le suivant : trois frères qui se déchirent pour la même femme dans une saga historique de la première moitié du 20e siècle. Lorsque le générique de fin défile sur la petite télévision de ma copine Marie- Eve, je quitte subitement la pièce car je ne peux pas m’arrêter de pleurer. Non non… Pas de pleurer comme une petite fille. Ce sont les larmes les plus lourdes, les plus salées que je n’ai jamais senties rouler sur mes joues. Je pense que j’ai eu alors, par procuration cinématographique, mon premier véritable chagrin d’amour. Les 133 minutes de ce film m’ont véritablement bouleversée, tant par son histoire et ses personnages que par le cadre historique et géographique du scénario. Je me rappelle aussi les longs mois qui ont suivi ce jour, où le film a continué à me hanter et où je portais en moi la profonde et dévastatrice tristesse de cette histoire. Quinze ans plus tard, je m’apprête à faire mon premier grand voyage outre-Atlantique. Je suis justement à cette époque en mode résilience d’un grand chagrin d’amour, un vrai que j’ai réellement vécu cette fois-ci, et je me décide – complètement au hasard je le précise – à partir pour un été dans une ferme du Montana où j’allais travailler bénévolement contre le logis et le couvert. Je ne vais pas pouvoir rentrer dans les détails ici mais je peux vous dire que ce voyage initiatique a changé et déterminé irrémédiablement le cours du reste de ma vie. Je ne serai pas celle que je suis aujourd’hui sans avoir passé ces quelques mois estivaux au nord-ouest des États-Unis. C’est en rentrant de ce voyage, et en digérant progressivement cette folle aventure, que je dévore sans me rassasier de la littérature américaine. Entre alors – et pour toujours – dans ma vie et dans mon coeur, feu Jim Harrison (1937-2016), poète et écrivain du « nature writing », genre littéraire né aux États-Unis mélangeant contemplations de la nature et réflexions autobiographiques. Je lis Dalva et je consume chaque ligne comme si ma vie en dépendait, les chapitres défilent et je tremble à l’idée de mourir de chagrin quand j’arriverai à la dernière page. Je dévoue les nuits suivantes à la lecture des écrits d’Harrison et je tombe sur Legends of the Fall, son premier recueil de nouvelles publié en 1979 et traduit en français sous le titre Légendes d’automne. Ça a fait tilt, puis rewind. Le film Légendes d’automne – dont l’affiche en très grand format a été inlassablement accrochée dans ma chambre de collégienne puis de lycéenne – est inspiré d’une nouvelle de Jim Harrison. Ce premier film qui a tant marqué ma vie dès 1995 est donc en lien direct avec le premier écrivain pour lequel je ressens une véritable et puissante connexion en 2009. Combiné au hasard d’avoir « choisi » le Montana comme destination d’un voyage qui s’est révélé être le plus important de toute ma vie, je me retrouve aujourd’hui encore, plus de dix ans après, imprégnée de souvenirs à moitié rêvés et à moitié vécus qui mélangent subtilement une odyssée cinématographique et littéraire à un voyage intérieur comme extérieur dans un Montana aussi mystique que mythique.

Flavie

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